Le sirop de la rue
La boule à zéro
et la morve au nez,
on n'était pas beaux
mais on s'en foutait.
Le mercurochrome
sur nos g'noux pointus
c'était nos diplômes
d'l'école de la rue.
Le seul vrai enfer
qu'on avait sur terre
il était dans l'ciel
de nos pauvres marelles.
On avait dix ans
pis on ignorait
qu'un jour on s'rait grands
pis qu'on mourirait.
L'eau des caniveaux
nous f'sait des rivières
où tous nos bateaux
naviguaient pépères.
Aujourd'hui les moineaux
évitez d'tomber
le nez dans l'ruisseau,
la gueule sur l'pavé,
à moins d'pas trop craindre
les capotes usées,
et les vieilles seringues
et les rats crevés.
L'été sur les plages
c'tait l'débarquement,
j'étais les G.I's,
t'étais les all'mands.
Pistolet à flèches,
carabine en bois,
et ma canne à pêche
c'tait un bazooka.
Dans les vieux blockhaus
on f'sait notre Q.G.,
c'était bien craignoss'
qu'est-c'que ça chlinguait.
Les filles v'naient jamais
parc'qu'elles craignaient qu'on
veuille les tripoter
elles avaient raison.
Quand tu ramassais
un gros coquillage
eh ben t'entendais
la mer, l'vent du large.
Aujourd'hui t'as qu'une
symphonie d'4x4
qui vont dans les dunes
comme à Ouarzazate,
le son des tocards
réchappés hélas
du Paris-Dakar,
du rallye d'l'Atlas.
On était inscrits
pour tout l'mois d'juillet
à des cours de gym
et au Club Mickey.
En c'temps-là Disney
faisait pas les poches
ni les porte-monnaie
à des millions d'mioches.
C'était l'Figaro
qui organisait
l'concours de châteaux
de sable que j'gagnais.
Aujourd'hui c'journal
est l'ami des enfants
au Front National
et au Vatican.
Quand t'allais t'baquer
tu t'buvais peinard
une tasse d'eau salée,
pas une marée noire.
Creusant l'sable blond
tu ram'nais des coques,
pas des champignons
ni des gonocoques.
Dans les bouteilles vides
y'avait des messages,
pas les pesticides
d'un dernier naufrage.
L'jour où j'mourirai
puisque c'est écrit
qu'après l'enfance
c'est quasiment fini,
devant l'autr' charlot
j'espère arriver
la boule à zéro
la morve au nez
du mercurochrome
sur mes g'noux pointus
qu'y connaissent l'arôme
du sirop d'la rue
lui qu'à eu tant d'mômes
et qui les a perdus.