A Carlingford
Mes deux frères, comme moi, ont grandi là-bas,
les pieds dans la tourbe noire,
loin des vertes prairies du Connemara,
entre Navan et Mullingar.
Quand la grande famine est arrivée,
quand le père a rejoint la tombe,
nous avons quitté ces terres désolées
au fond du cœur un Nouveau Monde
A Carlingford, à Carlingford,
nous avons posé nos ballots
echoués sur les docks avec les oiseaux,
nous avons attendu le bateau.
Mon grand frère Donovan, cœur d'or, innocent,
pour nous donner du pain
a viré bandit, voleur, trafiquant,
a sali à jamais ses mains.
Petit frère Henry est parti lui aussi
enrôlé dans une sale armée
pour un bol de soupe et un fusil,
il a appris à ramper.
A Carlingford, à Carlingford,
sur les docks, avec les matelots
j'ai crié au vent avec les oiseaux
et j'ai attendu le bateau.
Lorsque grand frère fut jeté aux fers,
condamné à pendre demain
quand petit frère revint de la guerre
dans un costume de sapin,
j'ai pleuré des torrents de larmes salées
à en faire déborder l'océan
et puis j'ai maudit le ciel irlandais
qui emporte tous ses enfants.
A Carlingford, à Carlingford,
du haut des tours du vieux château,
un beau jour enfin, un matin pourtant,
j'ai vu arriver le bateau.
A Carlingford, à Carlingford,
j'ai tourné à jamais le dos
à ma terre, à ma mère et puis aux oiseaux
en embarquant sur le bateau.