

Si tu me payes un verre
Si tu me payes un verre, je n'te demand'rai pas
où tu vas, d'où tu viens, si tu sors de cabane,
si ta femme est jolie ou si tu n'en as pas,
si tu traînes tout seul avec un cœur en panne.
Je ne te dirai rien, je te contemplerai,
nous dirons quelques mots en prenant nos distances,
nous viderons nos verres et je repartirai
avec un peu de toi pour meubler mon silence.
Si tu me payes un verre, tu pourras si tu veux
me raconter ta vie, en faire une épopée,
en faire un opéra... J'entrerai dans ton jeu,
je saurai sans effort me mettre à ta portée.
Je réinventerai des sourir' de gamin,
j'en ferai des bouquets, j'en ferai des guirlandes,
je te les offrirai en te serrant la main,
il ne te reste plus qu'à passer la commande.
Si tu me payes un verre, que j'ai très soif ou pas,
je te regarderai comme on regarde un frère,
un peu comme le Christ à son dernier repas,
comme lui je dirai deux vérités premières.
Il faut savoir s'aimer malgré la gueul' qu'on a
et ne jamais juger le bon ni la canaille.
Si tu me payes un verre, je ne t'en voudrai pas
de n'être rien du tout... Je ne suis rien qui vaille.
Si tu me payes un verre, on ira jusqu'au bout,
tu seras mon ami au moins quelques secondes,
nous referons le monde, oscillants mais debout,
heureux de découvrir que si la terre est ronde
on est aussi ronds qu'elle et qu'on s'en porte bien.
Tu cherchais dans la foule une voix qui réponde
alors, paye ton verre et je t'aimerai bien,
nous serons les cocus les plus heureux du monde.